Entre greenwashing et greenhushing : comment refuser le mutisme et communiquer sans crainte sur les défis de la transformation écologique ?
16/12/2024
Vous avez manqué la première conférence du groupe Transitions sur le greenhushing ? Pas de panique ! Nous avons préparé pour vous une synthèse des échanges avec nos intervenants. Et si vous êtes pressé, découvrez notre superbe facilitation graphique, illustrée par l'alumna Louna Scherrer. Impossible de quitter cette page sans une idée claire sur le sujet et des conseils pratiques !

* Selon une étude de South Pole menée auprès de 1400 entreprises.
Définitions des termes au cœur de notre problématique : le green quoi ?
Greenwashing - "écoblanchiment " en français : L'ADEME définit le greenwashing comme "un terme habituellement utilisé pour qualifier toute allégation pouvant induire le public en erreur sur la qualité écologique réelle d’un produit ou d’un service ou sur la réalité de la démarche développement durable d’une organisation.”
Greenhushing - “écosilence” ou "mutisme vert” en français. Le fait de passer sous silence ses actions environnementales pour éviter les accusations de greenwashing. Une pratique qui gagne du terrain face à la méfiance croissante envers les engagements des entreprises.
Pour en savoir plus sur les points de vue et conseils des intervenants, voici une brève retranscription :
Yonnel, vous avez redéfini le greenwashing comme une "accusation de récupération illégitime de l’écologie". Pourquoi pensez-vous que cette notion est au cœur des relations entre les entreprises et leurs publics aujourd'hui ?
Yonnel : Le greenwashing est une forme de crise réputationnelle. Le greenwashing et la communication de crise suivent donc la même logique. Mais qu'est-ce qu'une crise ? Il y a crise lorsqu'il y a présence dans les médias. La crise apparaît alors comme une question de perception plus que de faits.
C'est donc en partant de ce constat que j'ai défini le greenwashing comme une accusation de l’utilisation abusive d’un argument écologique. Le terme "accusation" fait référence à J'accuse où Zola met sur la place publique des faits qui posent problème. Et bien c'est le même phénomène avec le greenwashing. La question est ensuite : abusive selon qui ? Le greenwashing a un caractère subjectif lié à des enjeux relationnels. Je m’explique. On accuse une entreprise ou une marque, quand on n’a pas ou plus confiance en celle-ci. La clé dans le greenwashing ne réside donc pas dans l'apport de toujours plus de preuves, mais dans le dialogue et la qualité de la relation entre une marque, le monde des communicants et les militants écologistes. Une bonne relation de confiance entre ces différents publics diminue le risque d'accusation de greenwashing.
Pour résumer, je dirais que le greenwashing est une question de perception, qui renvoie donc à un caractère subjectif, et que la prévention passe par le dialogue et la confiance.
Leslie, vous avez longtemps travaillé chez Danone avant de lancer Second Food Life. Comment se différencient les attentes des consommateurs ou des clients entre les grandes entreprises et les petites structures en matière d'engagement et de transparence sur leurs activités ?
Leslie : Les consommateurs accordent beaucoup d'importance à l'image des entreprises, surtout pour les grands groupes. Ces derniers peuvent donc avoir une plus forte tendance au greenhushing pour ne pas risquer d'abîmer leur image. De manière générale, leur communication est plus formelle, institutionnelle et moins émotionnelle.
Au contraire, les petites structures, présentant moins de risques réputationnels, peuvent se permettre d'être plus agiles, d'intégrer plus de spontanéité et d'authenticité.
Que ce soit pour les petites ou les grandes entreprises, je conseille toujours d'incarner le message, par le dirigeant par exemple, et d'avoir en tête ces trois socles dans toute communication : parler simple, parler vrai et parler concret.
Nicolas, Decathlon fait partie du top 30 des marques préférées des français. Vous avez donc de forts enjeux de notoriété. En tant que responsable de la communication sur les services circulaires, quelles principales craintes identifiez-vous en interne lorsqu'il s'agit de communiquer sur vos initiatives écologiques pouvant amener à du greenhushing ?
Nicolas : Chez Decathlon, nous avons des objectifs concrets et importants de réduction de nos émissions de CO2. Nous observons d'ailleurs une réduction de nos émissions depuis 3 ans, tout en maintenant une croissance pour l'entreprise. Cependant, on a toujours un impact carbone important, notamment par la production de nos produits. C'est donc avec attention que nous communiquons sur ces sujets, ce que l'on fait d'ailleurs assez rarement.
Avant d'entamer toute communication, nous gardons en tête ce besoin nécessaire d'humilité, la question du timing, des arguments et des preuves factuelles.
Yonnel, dans votre dernier livre, vous proposez une méthodologie pour éviter le greenwashing. Quels sont les principes clés de cette méthodologie ?
Yonnel : La méthodologie développée dans mon ouvrage part d'un constat simple : toute campagne de communication commence par un brainstorming en interne, entre les murs de l'entreprise. Or, les idées ou insights qui y sont partagés ne correspondent pas toujours à la réalité. Pour construire sa campagne de communication à partir d'un constat qui soit le plus proche possible de la réalité, l'idéal est de dialoguer avec les parties prenantes, notamment les militants écologistes, par des entretiens qualitatifs. Il faut éclater les bulles dans lesquelles s'enferment les communicants, les consommateurs et les militants et rentrer en contact. La question de la légitimité est aussi très importante. Il faut que l'entreprise pose la question à elle et à ses parties prenantes de sa légitimité à aborder certains sujets.
Sidonie : Je me permets de rebondir sur la question de la légitimité. Chez Naturalia, on se pose toujours cette question avant toute communication. Par exemple, nous avons mené une campagne mettant en avant les protections périodiques que nous vendons, en soulignant leur composition saine. En tant qu'enseigne biologique, nous proposons naturellement des produits sans substances chimiques à nos clients. Nous nous sentions donc légitime à communiquer sur le sujet. Cette campagne a d'ailleurs très bien fonctionné. Cependant, cela ne nous a pas empêchés de faire face à un bad buzz, certaines associations féministes nous ayant reproché d’avoir coupé le visage des femmes sur nos affiches.
Justement Sidonie, quelles sont, chez Naturalia, vos stratégies pour communiquer sans tomber dans l'excès ou l'autocensure ?
Sidonie : Tout d'abord, nous impliquons les collaborateurs dans notre démarche de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) à travers un comité dédié. Tous les mois, différents métiers de tous services confondus se retrouvent pour partager la stratégie RSE et des bonnes pratiques. Nous veillons également à concevoir des supports de communication courts et inspirants pour aborder ces sujets, qui peuvent parfois paraître trop techniques, comme c'est souvent le cas dans des rapports RSE de 50 pages. L’argument économique est également efficace en interne, car il démontre que les actions RSE peuvent générer de la valeur économique.
Enfin, je rejoins Yonnel sur l’importance de la confiance, notamment avec les médias et les journalistes. Par exemple, nous avons accepté que Hugo Clément et son équipe de l’émission Sur le Front viennent tourner un reportage, après avoir échangé et établi une relation de confiance avec eux. Cela est essentiel, surtout dans un contexte où la défiance des entreprises envers les journalistes est particulièrement marquée.
Nicolas, quels sont les objectifs et la stratégie RSE de Décathlon en lien avec le circulaire ? En parallèle, quels sont les leviers pour convaincre vos collaborateurs de communiquer sur ces actions, mêmes imparfaites ?
Nicolas : Nous avançons à petits pas sur ces sujets. Nous travaillons actuellement avec un organisme externe pour chiffrer l'impact de l'achat de produits de seconde main. Nous souhaitons également dialoguer avec nos clients pour connaître quels sujets et quels messages pourraient les intéresser. Mais nous sommes encore à l'étape embryonnaire pour ces projets de communication responsable.
Leslie, en tant que fondatrice d’une entreprise dédiée à la lutte contre le gaspillage alimentaire, avez-vous remarqué des exemples de greenwashing ou, au contraire, de greenhushing dans ce domaine ?
Leslie : Le gaspillage alimentaire est un sujet très important qui touche aux dimensions économique, écologique et sociale. Nous avons tous déjà vu ces images de poubelles sur les parkings des grands supermarchés avec des tonnes de produits encore consommables jetés et aspergés de javel. C'est donc un sujet très sensible et les entreprises ont peur de communiquer dessus. Elles vont donc avoir plutôt tendance à se taire, à faire preuve de greenhushing.
Une solution intéressante pour communiquer sur des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire est de s'associer avec des marques, souvent des start-ups, qui sont plus légitimes sur le sujet car cette lutte fait partie intégrante de leur mission. Par exemple, un grand groupe s'est associé avec To Good To Go pour partager les actions de lutte contre le gaspillage alimentaire. De cette façon, le message a bien plus de chances d’être reçu positivement par les publics.
Si vous deviez donner un seul conseil à vos pairs pour communiquer sereinement sur leurs actions écologiques, quel serait-il ?
Leslie : Je conseille toujours de se référer à un acronyme que j'utilise beaucoup, MVV : mission, vision, valeurs. Quand je ne sais plus où je vais, je me raccroche à ça. Bien sûr, ces éléments doivent être très clairs, partagés et incarnés par les collaborateurs. MVV permet de structurer des messages internes et externes pertinents. Je dirais également d'apporter toujours une touche d'authenticité, que ce soit par l'humour ou l'incarnation des messages par le ou la dirigeant.e.
Nicolas : Je dirais humilité et prise de recul. Toujours se mettre à la place du client, d’une partie prenante externe et se demander ce qui pourrait mal se passer, ce qui pourrait être mal perçu. Dans tous les cas, c'est important d'être aligné avec ce qu’on dit et ce qu’on fait.
Sidonie : Ne pas abandonner. Bien que la communication participe au système économique, elle participe aussi à faire bouger les choses et le monde n'est ni simple ni binaire. Il faut comprendre que la dynamique est longue et peut être complexe le long de la chaîne de valeur. Les engagements sont toujours perfectibles, communiquer c'est aussi se mettre en mouvement pour soutenir la transformation des modèles. Mon conseil aux communicants c'est d'accepter la transparence et la nuance dans les messages pour maintenir un climat de confiance autour de la marque. Il faut donc communiquer mais se bien se préparer, s’interroger en amont sur les attentes, anticiper les risques d'accusations et se questionner sur notre légitimité.
Yonnel : Je conseille aux communicant.e.s de faire leur devoir d'inventaire. Cela fait 20 ans que l'on observe des pratiques de communication responsable, et donc de greenwashing et greenhushing. Il faut avoir un regard critique sur les différentes approches qui ont été tentées, les échecs et les réussites.

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